La vallée des âmes perdues
L’information est passée relativement inaperçue par ici. Et pourtant… Le 31 août dernier, James Ricketson, un journaliste australien de 68 ans, a été condamné à six ans de prison au Cambodge pour « espionnage ».
Qu’avait-il espionné et pour le compte de qui ? Nul ne le sait vraiment, et le jugement ne le précise pas. Les autorités cambodgiennes lui reprochent simplement d’avoir filmé une manifestation d’opposition… avec un drone.
Il faut quand même préciser que Ricketson n’en n’était pas à sa première incartade, puisqu’il avait déjà eu affaire aux tribunaux locaux à deux reprises, notamment en 2014, où il avait été condamné à deux ans de prison avec sursis pour avoir accusé une église de Brisbane œuvrant au Cambodge d’y avoir vendu des enfants.
Aurait-il été condamné s’il avait filmé la même scène avec son portable ?
Mais ce que je retiens surtout de cette condamnation, vous me voyez venir, est que l’histoire implique un drone. Oh mon Dieu, un DRONE, avec tout le contexte sulfureux qui accompagne couramment ces petites machines. Je suis convaincu que pendant que le journaliste filmait avec sa caméra volante, des dizaines d’autres personnes présentes shootaient avec leur smartphone et n’ont jamais été inquiétées. Alors bien sûr le gars est journaliste, et il a de surcroit déjà eu affaire à la justice du Cambodge, ce qui ne plaide pas en sa faveur. Mais aurait-il été condamné (et même seulement arrêté) s’il avait filmé la même scène avec son portable ? Pas sûr.
C’est là tout le problème des drones, y compris de loisirs : le soupçon d’espionnage n’est jamais loin, et leur utilisation génère de facto une espèce de dramaturgie malsaine mêlée de fantasmes sécuritaires un peu simplistes. Ajoutez à cela que le drone apporte un point de vue différent, plus large, avec une vue d’oiseau qui permet certainement de mieux appréhender le scénario d’un évènement, et vous avez tous les ingrédients réunis pour réveiller les velléités autoritaristes de n’importe-quel gouvernement.
Ne riez pas, cela se produit aussi chez nous : combien de vols signalés « au-dessus d’une centrale nucléaire » et qui n’ont jamais été prouvés ? Comme si une machine de cinq cent grammes pouvait mettre en péril la sécurité nucléaire d’une nation. Sans parler des dronistes amateurs qui se retrouvent au poste, voire en garde à vue, pour avoir voulu filmer le clocher de leur village désert à 6 heures du matin…
Avec les drones, la paranoïa brasse autant d’air que les rotors.